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Une vieille centenaire



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Il existait, à Folembray, une vieille centenaire que peu de ses concitoyens ont vue, mais que tous ont bien souvent entendue. Elle avait reçu, en 1791, un baptême presque laïque et ses parrain et marraine, si elle en eût jamais, n’avaient pas osé lui donner de noms de saints parce que, en ces temps-là déjà, on essayait de les supprimer.
Sur ses flancs robustes, on lisait et on peut lire encore ; J’ai été fondue en 1791 ; vive la nation, la loi et le roi.
Elle avait eu deux sœurs, la bonne vieille, mais au bout de quelques mois, dénoncées comme suspectes, il leur fallut partir, transformées en canons, pour servir sous les ordres de Dumouriez.
C’est leur survivante, âgée de 102 ans, qui vient de descendre de son aérienne demeure, pour prendre le chemin de l’exil ou pour s’abîmer dans le creuset du fondeur. Ainsi pussent les gloires des cloches !
Mais que de souvenirs emporte avec elle notre respectable compatriote ! A combien d’évènements n’a-t-elle pas prêté sa voix qui dominait toute la vallée de l’Ailette ! deuils et gloires de la Patrie ! joies et tristesses des familles et des individus ! souvenirs intimes, émotions vécues pendant un siècle, elle a tant chanté ! elle a tant pleuré !
C’était pour dire adieu à cet antique témoin, et pour saluer les quatre nouvelles cloches, que la paroisse de Folembray tout entière était sur pied, dimanche dernier 9 juillet. Mais quelle splendeur autour du berceau des quatre jumelles, arrivées de Carrepuis, modeste village où depuis l’an 15-10, les Cavillier exercent, de père en fils, l’art de fondre les cloches !
Disons de suite que cette belle fête de paroisse était rehaussée par la présence de Mgr l’Évêque de Soissons, dont la simplicité jointe à une bienveillance aussi exquise qu’infatigable, ajoute tant de charmes à nos têtes populaires.
A trois heures, une foule immense et respectueuse, composée des fidèles de la paroisse et des villages voisins envahit les larges avenues et le magnifique rond-point du parc de Folembray. Sous la vaste marquise ornée des fleurs et dès arbustes les plus précieux, se tient la noble châtelaine, madame la Baronne do Poillv, entourée de sa famille et du personnel de sa maison, en grande livrée.
Auprès du prélat oui prend place sous le dais et qu’entourent M. le vicaire-général Brancourt et M. le Chanoine Pignon, curé-doyen de Coucy-le-Château, nous voyons M. le chanoine Chédaille, M. le curé de Saint-Eloi de Saint-Quentin, M. le curé de Parpeville et la majeure partie des prêtres du doyenné.
La compagnie des sapeurs-pompiers escorte le dais, derrière lequel se trouvent nu grand complet le conseil de fabrique, la municipalité et les parrains et marraines :
M Damour et Mme la Baronne.
M. le comte et Mme la comtesse de Brigode.
M. Nlesnier et Mme Capell.
M. et Mme Arthur Guise.
Bientôt le canon gronde et la procession s’ébranle pendant que les musiciens do Sainte-Cécile, au pittoresque costume de bersaglieri jettent au ciel leurs fanfares joyeuses. Rien de beau comme cette vaste procession se déroulant sous ces immenses nefs de verdure, au milieu de ces chênes séculaires, de ces hêtres épais qui semblent les piliers d’un temple incomparable. A travers les sinuosités des avenues, apparaissent les voilà blancs des enfants des écoles que conduisent les bonnes sœurs de la Providence de Portieux, et puis les garçons de l’école libre Saint-Joseph avec les clercs de Saint-Violeur. M. le curé est partout dirigeant dans le plus grand ordre cette splendide procession.
A la sortie du parc, c’est un autre spectacle qui se présente aux regards. Toutes les maisons sont pavoisées et de nombreux et très distingués arcs de triomphe échelonnent la route jonchée de feuillage, sur laquelle doit passer le cortège. Sur la place de l’Église on s’arrête en face d’un immense arc de triomphe élevé par les soins de la Verrerie et au fronton duquel des bouteilles artistement rangées font lire la devise du bien-aimé Pontife : Per gratiam ad lœtitiam.
Nous ne dirons rien des détails si pleins d’intérêt de la cérémonie religieuse, mais nous ne pouvons taire quelques-unes des paroles adressées par Sa Grandeur, en réponse au discours que lui adressait M. le curé.
« ... Nous savions bien ce que nous faisions en vous envoyant à Folembray, a dit l’eminent Pontife, nous connaissions votre prudence, votre zèle, votre intelligence, et nous pressentions tout le bien que vous deviez faire au sein de cette religieuse paroisse. Vous n’avez plus qu’à continuer cette mission de zèle et de dévouement que vous avez si bien comprise. »
Et nous, habitants de Folembrav, nous ajoutions : que Monseigneur laisse longtemps parmi nous le prêtre sympathique et distingué qui a su trouver le chemin de nos cœurs et arrivera sûre ment à celui de nos âmes !

Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, le 13 juillet 1893


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Le Journal de la ville de Saint-Quentin, le 13 juillet 1893