Le château de Folembray
Au milieu de vastes jardins et d’un parc admirablement planté et dessiné qui se confond avec la forêt de Coucy, lui servant de limite, s’élève le château de Folembray.
Ce n’est plus la place d’armes et le donjon d’Enguerrand III, sire de Coucy, ni la résidence royale construite par François 1er dans laquelle devait résider Henri IV et la belle Gabrielle, mais c’est une aristocratique et confortable demeure moderne, dressant vers le ciel ses tourelles à toits pointus, bâtie en 1859 par le baron Henri de Poilly.
Avant de nous occuper du Folembray moderne, il faut évoquer les souvenirs du passé et remonter aux premiers temps de notre histoire en prenant pour guide l’ouvrage si intéressant de l’abbé Vernier.
La seigneurie de Folembray, commença par relever de l’évêque de Reims et elle était un apanage de l’abbaye de Nogent. Elle resta entre les mains des évêques jusqu’au commencement du treizième siècle où Enguerrand III en devint possesseur.
Le sire de Coucy qui avait hérité de l’humeur altière de ses ancêtres, pilla les terres de l’église de Reins. Les chanoines hors d’édit de résister implorèrent le secours do Philippe-Auguste, mais ce roi qui, quelques années auparavant, avait eu besoin d’argent pour repousser les Anglais et leur en avait demandé, ayant reçu pour réponse que le clergé de Reims ne pouvait que prier pour lui, leur répliqua à son tour qu’il ne pouvait également les aider que de ses prières.
Les prières du roi n’étaient pas sans doute très efficaces, et Enguerrand n’en continua pas moins à inquiéter les chanoines.
Cependant Philippe-Auguste pour faire cesser les dépravations du sire de Coucy finit par envoyer une armée qui ravagea ses terres.
Enguerrand fut alors obligé de se soumettre, et signa la paix avec les chanoines.
N’ayant plus à batailler le sire de Concy dont la foi aune était immense, se mit à élever sur ses nombreux domaines des châteaux, des donjons et des forteresses, et un des premiers construit fut celui de Folembray, il en jeta les fondements surin monticule élevé qui dominait le pays et permettait d’apercevoir le château de Coucy avec ses courtines et son colossal donjon, ainsi que la longue chaîne de collines, qui s’étend sur les hauteurs de Crécy au Mont, à la forêt de Compiègne et sur les penchants de laquelle sont assis de nombreux villages, baignés par l’Ailette, cette petite rivière court en serpentant au milieu des bouquets de verdure, et arrose de fertiles prairies avant de disparaître derrière les hautes futaies de Prast. Ce château primitif occupait un vaste terrain et dans l’enceinte des murs se trouvait un oratoire dédié à St-Nicolas qui a subsisté jusqu’à la révolution de 1793.
Enguerrand élevait ainsi sur toutes les terres des merveilles d’architecture et des châteaux-forts véritables places de guerre, qui devaient lui assigner le premier rang parmi les puissants du royaume. Il rêvait alors, disent les historiens, de transformer sa baronnie en une sorte de souveraineté, dont il eût été le chef, et enivré de sa puissance toujours croissante, le seigneur de Coucy et de Folembray, eut un jour l’ambition de poser sur son front la couronne de France alors aux mains de Blanche de Castille, mais nous n’avons pas ici à écrire l’histoire des sires de Coucy, quoiqu’elle soit intimement liée à celle de Folembray dont nous devons nous occupe.
A la mort d’Ecguerrand-le-Grand, tué par un accident de cheval en traversant à gué une rivière, Folembray passa entre les mains de son fils Raoul II qui fut tué en terre sainte au combat de Mensourah. La terre de Folembray devint l’apanage d’Enguerrand IV qui y fit exécuter des travaux importants et agrandit Considérablement l’enceinte du parc.
En 1392, le château de Folembray reçut la visite de l’infortuné Charles VI accompagné du sire de Coucy et de quelques autres seigneurs, il cherchait dans la distraction des voyages, un soulagement à sa cruelle démence.
Enfin, Enguerrand, sire de Coucy, comte de Soissons. seigneur de Folembray de la Fère, et de cent cinquante autres villes, venait de mourir prisonnier en Bythinie, et il ne laissait pour recueillir cette immense succession que sa fille Marie de Coucy, veuve d’Henri duc de Bas qu’il avait eu de son premier mariage avec la fille du roi d’Angleterre. Tous ces grands domaines, ces fiefs importants tombaient entre les mains d’une femme qui n’avait pas assez de fermeté pour administrer un pareil domaine.
Le duc Louis d’Orléans qui en contestait la possession, après trois ans de lattes et de résistance lui arracha un acte de vente, et il devint ainsi possesseur de la Seigneurie de Folembray dont Marie de Coucy se éservait l’usufruit des fruits, profits, revenues, et émoluments quelconques et portions d’iceux-biens. Louis d’Orléans fit ériger en 1400 la terre en Pairie par lettres patentes. En 1407, le duc d’Orléans seigneur de Folembray était assassiné à Paris au sortir de chez la reine par les ordres du duc de Bourgogne.
Pendant la guerre des Bourguignons et des Armagnacs, après un siège de quatre mois, Coucy et Folembray furent obligés do capituler et devinrent la propriété du duc de Bourgogne ; Folembray fut alors dévasté, pillé et démoli par les vainqueurs. Enfin, en 1412, après la paix d’Auxerre, Folembray fit retour au duc d’Orléans.
Mais la guerre venait de se rallumer entre la Franco et l’Angleterre. Louis d’Orléans leva des troupes et vint grossir l’armée royale, qui fut battue, hélas ! dans les plaines d’Azincourt où le duc d’Orléans, seigneur de Folembray, fut retrouvé sous un monceau de cadavres, et les Anglais s’emparèrent du château de Coucy ; Folembray resta en leur pouvoir jusqu’à ce que Dieu eût suscité la bergère de Domrémy pour sauver la France.
Vingt-cinq ans après, le nouveau duc d’Orléans se dévoua entièrement aux intérêts de la baronnie et il s’appliqua à faire disparaître les traces d’une si longue invasion, en développant le commerce et l’industrie.
C’est à cette époque qu’il dota son domaine d’un four aux verres qui, se perfectionnant de siècle en siècle, d’année en année, est devenu le grand établissement qui lait aujourd’hui la richesse de toute la contrée. La verrerie de Foh mura à peine naissante perdit son fondateur ; le duc d’Orléans mourait le 11 janvier 1469. Louis II d’Orléans hérita des domaines de son père et devint seigneur de Folembray, mais en 1498 le nouveau seigneur montait sur le trône sous le nom de Louis XII, et le domaine de Folembray passait à la couronne.
François Ier venait de succéder à Louis XII et le grand bâtisseur de palais et de châteaux qui devait attacher son non à tant de monuments impérissables, Le Louvre, Saint-Germain, Fontainebleau, Chambord, Villers-Cotteret, etc., etc., n’oublia pas qu’il était le seigneur de Folembray, et il fit relever dans le style de la Renaissance, le vieux château en ruine, au lieu même qu’avait choisi Euguerrand III en 1209. Il était divisé en deux parties irrégulières, et on arrivait dans chacune des deux parties par une double porte qu’embellissait quatre tours d’inégale hauteur.
Le pavillon du roi était relié au pavillon nord par un corps de bâtiment dans lesquels se trouvaient les écuries et les chenils, et, en arrière, il y avait une terrasse, d’où l’on descendait dans les jardins par deux escaliers de pierre. La chapelle de Saint-Nicolas, construite par Anguerrand, qui avait seule échappée à la ruine, fut restaurée et François I er fit remplacer le dallage par des carreaux vernis et fleurlysés, au milieu desquels on voyait son chiffre. Le château était entouré d’un parc de soixante-dix ariens qui n’avait pas vu la hache depuis 1376.
François I er, qui aimait le séjour de Folembray, y venait à l’époque des chasses avec sa favorite Mme de Chateaubriant pour y courir le daim, le chevreuil, et les sangliers si communs dans la forêt de Coucy. Plusieurs édits furent datés de Folembray.
Henri II vint aussi l’habiter, et c’est de cette résidence qu’il signa l’édit confirmant les privilèges accordés par les rois de France aux avocats du roi en son châtelet de Paris. De tristes jours allaient s’élever encore pour Folembray et éclairer la sanguinaire vengeance d’une femme. Marie, reine de Hongrie, furieuse d’apprendre que les soldats de Vendôme chantonnaient ses amours avec un seigneur de la cour, fit porter le fer et le feu dans toute la Picardie par un détachement des troupes impériales ; près de huit cents villages furent incendiés, et les impériaux s’attaquèrent à Folembray qui fut pillé de fond en comble et livré aux flammes le 15 octobre 1552.
Cette barbare exécution ne resta pas impunie. Henri II ne pouvait oublier l’injure faite à son royaume et au château de son père. Quelques années après, il se dirigea dans les Pays-Bas avec une armée sur Mariemont, séjour de la reine, et il se vengea de l’incendie de Folembray par l’incendie de la maison royale.
Sur les murs fumants de cette somptueuse demeure Henri fit placer cette inscription : Reine insensée, souviens toi de Folembray.
Henri II fit restaurer le château de Folembray, mais il avait perdu son ancienne splendeur et il ne fut plus qu’un rendez-vous de chasse. En 1576 Henri III donna la terre de Folembray, à Diane de Valois, duchesse d’Angoulême, fille légitimée d’Henri II ; mais à la mort de cette princesse, qui Délaissait pas d’héritier, le domaine fit retour à la couronne.
Henri IV poursuivant la conquête de son royaume était venu assiéger Laon et la Fère qui étaient an pouvoir des rigueurs commandés par le duc de Mayenne ; pendant les opérations du siège, il résidait à Folembray où il avait installé la belle Gabrielle, duchesse de B-au fort qui accompagnait partout l’aventureux monarque. On raconte qu’un jour, après avoir laissé sa belle maîtresse en pleurs poker retourner à Travecy, où était son quartier général, celle-ci, du haut d’une tourelle, agitait son mouchoir pour saluer son royal amant. Henri, qui l’aperçut, s’écria : Oh ! la folle en Braie.
Quelques chroniqueurs, en répétant ce jeudi mots,le donnaient comme étymologie du nom de Folembray, mais ils oubliaient que Folembray portait déjà ce nom depuis plus de huit siècles. C’est dans cette résidence que fut signé le 31 janvier 1596 le traité qui mettait fin aux guerres de la ligue. Sous le règne de Louis XIII Folembray eut à subir de nouvelles épreuves et pendant plusieurs années il fut ravagé par des partisans. En 1649 le château transformé en caserne fut rendu presque inhabitable. Louis XIV l’abandonna complètement, et le pavillon principal s’étant écroulé, on fit mettre en vente les démolitions ; bientôt la terre de Folembray cessa d’appartenir au domaine royal. Louis, XIV la donna en 1672 ainsi que celle de Coucy à son frère le duc d’Orléans, et elle resta dans cette famille jusqu’en 1793.
Le château de Folembray n’existant plus qu’à l’état de ruines et en 1700, le duc d’Orléans en concéda jouissance pendant trente ans aux sieurs Channevelle et de la Pommeraye pour y établir une grosse verrerie et y fabriquer des cristaux de lustres. La grande industrie de la verrerie à la quelle les gentilshommes pouvaient se livrer sans déroger était décidément fondée à Folembray.
En 1709 on abandonna fabrication des verres à vitres pour tenter celle des bouteilles et Thévenot l’inventeur, perfectionna si bien ses produits qu’on les appelait des Thévenottes. On peut encore voir dans La verrerie de Folembray, une de ces bouteilles fabriquée par Thévenot, lui-même en 1720. Depuis 1715 Folembray portait le titre de Verrerie Royale. En 1760, Guillaume Féret, successeur de Thevenot, s’associa do Saint-Mars, conseiller du roi et contrôleur rentes de l’hôtel-de-ville de Paris ; puis, à la mort de Saint-Mars, la verrerie passa entre les mains de Michel de Valcourt, porte-mauteau de la reine, marié à Marianne de SaintMars, qui la racheta une somme de cent mille livres.
En 1785 la verrerie était dirigée par M. Tronson qui avait épousé Mlle de Valcourt. Pendant la période révolutionnaire, l’industrie de Folembray resta stationnaire ; il faut attendre l’année 1817 pour revenir à l’établissement de Folembray : il était alors dirigé par M. Tronsen de Valcourt et son gendre M. de Montizeaux.
A cette époque, M. le baron de Poilly, jeune et brillant officier des chasseurs de la garde, chevalier de la Légion d’honneur et de Saint-Louis, qui avait épousé Mlle Montizeaux, devint propriétaire de Folembray. Sous son administration, ce magnifique établissement prit un nouvel essors, et M. de Poilly se plut à embellir la vaste habitation qui avait remplacé l’ancienne résidence royale. Le 25 mai 1821, il reçut au château de Folembray la duchesse de Berri qui revenait de Notre-Dame-de-Liesse, et quelques mois après, Son Altesse Royale tenait sur les fonds baptismaux, au nom du duc de Bordeaux, un fils de M. le baron de Poilly, qui Reçut le nom de Henri.
La verrerie de Folembray fut placée jusqu’en 1847 sous l’habile direction de M. de L’Age. Le baron de Poilly reprit alors sa verrerie qu’il dirigea jusqu’à sa mort. M. le baron de Poilly était un des types les plus accomplis de la vrai noblesse française, les fêtes et les chasses se succédaient à Folembray, et ces réunions où brillait la belle comtesse do Fitz-James, sa fille morte brûlée à la suite d’un horrible accident, étaient très recherchées par l’aristocratique société de cette contrée.
Henri de Poilly, ancien attaché à la négation de France à Florence devint propriétaire de Folembray, et pour donner une nouvelle impulsion à la verrerie, il s’associa le comte Charles de Fitz-James son beau-père et M.Labarbe, qui fut nommé gérant de la société ; sous sa direction, de nouveaux tours furent créés, et une cité toute entière sembla surgir de terre, imprimant une vie nouvelle aux ateliers restaurés et agrandis. Marié en 1855 à la princesse Nariskino, comtesse Worouzow Daschow, le baron de Poilly devenait veuf en 1856. Remarié en 1860 à la comtesse de Brigode, nee du HalJay Coetquen, il mourait le 20 septembre 1862, âgé de quarante-un ans, laissant à sa jeune veuve le soin de continuer son œuvre dans cette commune de Folembray dont les Poilly étaient les bienfaiteurs.
La baronne de Poilly, cette charmante mondaine dont tout le hig-life paris en connaît la grâce et les aristocratiques réceptions, n’a pas manqué à sa mission, et chique année elle va passer, au château de Folembray, quelques mois de la belle saison, ramenant avec elle les joyeuses réceptions d’autrefois et montrant avec orgueil ce magnifique établissement qui est une source de bien-être et de richesses pour le pays.
A la mort de M. de Poilly, maire et conseiller général, la direction de la verrerie resta entre les mains de M. Labarbe ; la mort étant venu l’enlever à son tour à la gérance, c’est M. le comte de Brigode, fils de la baronne de Poilly, qui a pris résolument la direction de cet immense établissement. Ce jeune homme, à qui la fortune faisait de riches loisirs, s’arrachant aux plaisirs faciles do son âge, s’est dévoué entièrement à cette œuvre, heureux de consacrer son intelligence, et son activité à cette industrie qui n’occupe pas moins de 600 ouvriers. Il a pensé que dans cette fièvre de spéculations et d’agiotage, qui, travaille si fatalement notre société moderne, il y avait un meilleur emploi, faire de sa fortune et de son intelligence, c’est au milieu de cette laborieuse population, qu’il a voulu aller conquérir la bienfaisante et morale influence que sait toujours obtenue celui qui sait, la mériter eu se dévouant à une œuvre utile.
Les ouvriers de la verrerie de Folembray gagnent non seulement des salaires rémunérateurs, mais ils reçoivent des encouragements de toutes sortes, en primes d’association, primes d’assiduités et de fabrications, sans les compter les soins d’un médecin spécialement attaché à l’usine et des indemnités en cas de maladie. On trouve encore dans la verrerie, une école pour enfant, etc.
Mme de Poilly, la gracieuse châtelaine de Folembray, voulant que le lieu qui avait reçu le dernier soupir du baron de Poilly, devint un lieu de prières, a fait transformer sa chambre mortuaire, en une superbe chapelle, dédiée à Notre-Dame des Victoires, et elle a fondé, sous le nom d’asile de Poilly, un exile destiné à recevoir, les jeunes enfants des deux sexes, dont elle a confié la direction aux religieuses de la Providence de Portieux.
Mme la baronne de Poilly continue ainsi les généreuses traditions de ceux dont elle porte noblement le nom, prouvant une fois de plus que sous l’élégante et aristocratique femme du monde, il y a la femme de cœur et
de dévouement.
E. De Coetlogon, L’Ordre de Paris, le 18 avril 1882