La Baronne de Poilly et le théâtre de Folembray
Quelque chose d’olympien et un brin d’olympique. Au demeurant, l’aspect d’une bonne déesse, indulgente aux autres et à elle-même. Fille du marquis du Hallay, surnommé l’arbitre de l’honneur, a épousé en premières noces son cousin, le comte Henri de Brigode qu’elle aima en son printemps quoiqu’il eût une infirmité qui le défigurait légèrement. Après son mariage, la beauté d’Annette de Brigode se dépouilla complètement de sa chrysalide et elle apparut cette déesse imposante et, pourtant, bonne enfant. Plus de gaieté que d’esprit ; plus d’assimilation que d’originalité, mais un ensemble aimable auquel une vraie bonté donne un charme que chacun subit.
A convolé promptement en secondes noces avec le baron de Poilly, un ami spirituel et d’une grande distinction. Frère de cette adorable comtesse de Fitz-James, peinte inexactement dans un vilain livre et qui, malgré cela, restera dans le souvenir des contemporains comme une des plus charmantes étoiles mondaines du temps, ainsi que de Mme de Grandmaison dont le talent de chanteuse amateur a été fort apprécié.
Le baron de Poilly ne vécut pas longtemps et la bonne baronne l’a soigné de son mieux. Seulement, comme la tristesse est antipathique à sa nature épanouie, et parce que son élégance de costume ne perd jamais ses droits, on racontait qu’on n’avait jamais vu une garde-malade vêtue de robes blanches aussi bien tuyautées.
C’est après son second veuvage qu’Annette du Hallay devint tout à fait à la mode. Très goûtée partout, elle fut une des intimes des "Tuileries et préluda, par quelques rôles, dans la troupe de Compiègne, aux plus sérieuses tentatives des représentations de Folembray. A Compiègne, c’était à qui lui offrirait le bras pour se promener sous la feuillée ; le maréchal Bosquet était un des plus enthousiastes, et le nom de ce guerrier prêta à une confusion qui fit rougir, dit-on, sous son diadème, l’impératrice Eugénie.
« Où est la baronne de Poilly ? » avait demandé. la sémillante majesté. Un familier, voulant indiquer, a-t-il expliqué depuis, que la belle Annette était en ce moment sous un bosquet, avait répondu de façon à scandaliser la souveraine, qui dit : « véritablement, M. X. se croit chez les filles. » Tout s’expliqua, et le Maréchal Bosquet rit beaucoup lui-même d’une supposition fort agréable pour lui.
La baronne de Poilly adore la comédie et les comédiens. Elle possède une rare entente du costume ; elle joue avec esprit et chante très agréablement.
Elle a des dîners intimes où le cabotinage et le journalisme se donnent rendez-vous ; on y voit Mmes Nilsson,Pasca et Brindeau, puis d’autres réunions du noble faubourg dont elle fait partie toujours, malgré une complète liberté d’allures. Tantôt ici, tantôt là au gré de sa fantaisie. Sa résidence familiale est Folembray, mais la baronne est partisan des pied-à-terre.
Elle a une villa à Deauville, un chalet à Enghien, une maisonnette voisine du Pré-Catelan, et nous ne nous étonnerions pas qu’elle eût une villa sur le lac de Côme, un parasol en Chine, un yacht sur le Bosphore.
Elle met tout cela au service de ses amis qui l’adorent. Malgré ce grand train, elle a ses heures de simplicité ; par exemple, elle débarque, avec son sac de voyage, à Saint-Enogat, chez Mme J... et là, sans femme de chambre pour l’accommoder, les cheveux au vent, elle se promène sur la plage pour ramasser des cailloux qu’elle distribue aux enfants, avec des jouets et des vêtements. Car elle est charitable, et a fondé même un ouvroir où elle fait élever des jeunes filles.
Malgré cette vie agitée, Mme de Poilly a des moments de tristesse sombre et des peurs enfantines. On dit que le caveau de famille où dorment ses ancêtres n’a, jamais sa visite, et qu’elle détourne sa promenade pour ne point l’apercevoir. Il .est probable pourtant que là baronne est aussi aimée des morts que des vivants, car sa bonté s’étend sur toute la nature.
La dernière représentation du théâtre de Folembray a été pleine d’entrain. La belle-fille de Mme de Poilly, née Corysandre de Grammont, fille du duc Agénor, qui fut ministre sous l’empire, joue en véritable artiste et pourtant en grande dame ; on dirait une échappée du théâtre de Trianon ; elle suit la loi commune et aime sa belle-mère.
Les fils de Mme de Poilly sont ses meilleurs camarades ; et, chose rare, ce salon très mélangé, où on a le propos leste et des façons un peu lâchées ; exemple, pendant une comédie, un jeune boudiné chatouillait amicalement les épaules de la marquise de Galliffet : « Laissez donc » cela tranquille, mon cher, dit la marmoréenne marquise ; ces choses-là, depuis quinze ans, ne me font plus aucun effet, ce salon, disons-nous, a conservé un certain parfum d’autrefois ; et, s’il s’y trouve des coins où on a mauvais ton, le côté où se tient la jeune famille a toujours son aspect de haute distinction, quoique parfois on y rie un peu trop haut et qu on y chuchote un peu trop bas.
Farniente, Gil Blas, le 4 février 1884