Cie du Nord - Comte de Brigode
Cour d’appel de Paris (1ère chambre), 10 juillet 1925
I. — Bien qu’aucun droit de servitude ne puisse, en principe, être constitué sur un immeuble dépendant du domaine public, rien ne s’oppose à ce qu’un particulier qui cède un terrain destiné à un usage public, se réserve l’usage d’une servitude sur ledit domaine ;
II. - Si les tribunaux judiciaires sont incompétents pour ordonner l’exécution de travaux sur une voie ferrée, ainsi que pour statuer sur une demande d’indemnité ayant pour base le refus d’exécuter un tel travail, ou pour connaître des litiges concernant les dommages de guerre dont la connaissance est réservée aux juridictions établies par la loi du 17 avril 1919, ils sont seuls compétents pour statuer sur une demande ayant pour objet de faire reconnaître l’existence d’une servitude.
Arrêt
Considérant que par son exploit introductif d’instance de Brigode demandait au tribunal de condamner la Compagnie des Chemins de fer du Nord, sous une astreinte de 1 000 fr. par jour, à reconstruire la voûte du tunnel traversant son v parc, laquelle a été détruite par fait de guerre ; qu’il demandait, en outre, le payement de 25 000 fr. de dommages intérêts ; qu’il a ensuite conclu devant les premiers juges , à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu’il prétendait à l’existence au profit de sa propriété de Folembray, d’une servitude portant sur la voie ferrée ; que le jugement dont est appel s’est borné à faire droit à ces dernières conclusions et a ordonné qu’il serait passé au jugement du fond sur la question de l’existence de la servitude ; que le tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de de Brigode tendant à contraindre la Compagnie du Chemin de fer du Nord à exécuter les travaux, ainsi que sur la demande en payement de dommages-intérêts ; qu’enfin les premiers juges ont refusé de donner acte à de Brigode de ses conclusions tendant à faire reconnaître « qu’aux termes des conventions intervenues, les travaux nécessaires à l’exercice de cette servitude ont été mis à la charge de la Compagnie du Nord » ;
Considérant que de Brigode, sur l’intimation dont il est l’objet de la part de la Compagnie du Chemin de fer du Nord demande la confirmation pure et simple de cette décision ;
Considérant que s’il est vrai qu’aucun droit de servitude ne peut, en principe, être constitué sur un immeuble dépendant du domaine public, rien ne s’oppose à ce qu’un particulier qui cède un terrain destiné à un usage public, se réserve l’usage d’une servitude sur ledit terrain ; qu’à l’heure actuelle de Brigode se borne à soutenir que son auteur s’est réservé une telle servitude sur le terrain où a été établie la voie ferrée dans la traversée de son parc ;
Considérant que cette demande, telle que soumise actuellement à l’autorité judiciaire, ne tend point à la réparation d’un dommage causé par la guerre, mais simplement à la constatation de l’existence d’un droit de servitude ; que, vainement, la Compagnie du Chemin de fer du Nord soutient et fait plaider que les juridictions établies par la loi du 17 avr. 1919 sont compétentes pour connaître d’une telle demande ; qu’aux termes de l’art. 10, § 7, de cette loi, les titulaires d’une servitude, en cas de reconstitution du fonds servant voient simplement l’exercice de cette servitude reportée sur la chose reconstituée ; qu’en cas de non reconstitution du fonds servant les juridictions spéciales de dommages de guerre ont seulement compétence, aux termes du paragraphe 13, pour répartir entre le propriétaire du fonds dominant et le propriétaire du fonds servant, l’indemnité allouée ; qu’en cas de litige sur le fond du droit, c’est-à-dire en cas de contestation sur l’existence même de la servitude, les parties doivent, aux termes de l’art. 33 de la même loi, être renvoyées à se pourvoir devant qui de droit ;
Considérant que le droit de propriété à l’égard de l’État et du Domaine public est placé sous la protection des tribunaux ; que seule l’autorité judiciaire est donc compétente pour statuer sur la demande de de Brigode, en tant qu’elle a seulement pour objet de faire reconnaître l’existence de la servitude qu’il allègue ; qu’il a le plus grand intérêt à faire reconnaître son droit afin d’être en mesure de le faire ultérieurement valoir devant telles juridictions qu’il lui plaira de saisir, ou qu’il a déjà saisies en vue d’obtenir l’exécution des travaux nécessaires à l’exercice de ladite servitude ; qu’il s’incline devant la décision des premiers juges reconnaissant l’incompétence des tribunaux de l’ordre judiciaire pour ordonner l’exécution de travaux d’art sur une voie ferrée, c’est-à-dire l’exécution d’un travail public, ainsi que pour statuer sur une demande d’indemnité ayant pour base le refus d’exécuter un tel travail ; qu’il échet, en conséquence, de confirmer purement et simplement la décision entreprise ; Par ces motifs,
Et adoptant ceux du tribunal ; Confirme le jugement dont est appel ; Déboute la Compagnie du Chemin de fer du Nord de toutes ses conclusions ; La condamne à l’amende et aux dépens d’appel.
Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 1925