La verrerie royale de Folembray
Interrogatoire de. M. le baron de Poilly, propriétaire de la verrerie royale de Folembray (Aisne).
D. Quels sont les produits de votre établissement ?
R. Je fabrique des bouteilles de toutes espèces et des cloches pour les jardins ;
Je me livre de préférence à la fabrication des bouteilles champenoises pour les vins mousseux ;
Je puis faire, par an, environ trou millions de bouteille et cinquante mille cloches.
Précédemment j’avais ajouté à cette fabrication celle de la gobleterie et du verre à vitre, blanc et demi blanc, mais j’y ai renoncé temporairement.
D. Combien vendez-vous le cent de bout cilles de premier choix ? quel est le prix du deuxième choix ?
R. Prises en fabrique à Folembrav, je vends les bouteilles champenoise 28 fr. le premier choix ; 18 fr. le second choix ; les bouteilles parisiennes ordinaires, 16 fr. le premier choix ; 1.8 fr. le second choix ; chaque cent est garni d’une bouteille pour couvrir ou indemniser de la casse en route ; les ventes pour la Champagne sont à douze mois de terme de fin de mars de chique année ; celles pour Paris et la province, à quatre mois de l’expédition.
D. Quel est le prix des cloches ?
R. 60 fr. le cent garni de quatre pour cent pour la casse en roule ; le terme de crédit est de quatre mois après l’expédition.
D. Quel combustible employez vous ?
R. Le charbon de terre et de bois ; mon établissement est au centre d’un pays assez boisé ; je donne la préférence à la houille ou charbon de terre, lorsque le prix du bois n’est pas en harmonie avec le premier combustible.
D. A combien vous reviennent-ils ?
R. La houille d’Anzin, de 2 f. 5 c. à 3 f. 23 c. l’hectolitre ; la houille de la Belgique, de 2,90 à 3,40 la manne. Cette mesure est de 8 à 10 pour cent plus forte que l’hectolitre. La variante dans le prix de revient de ce combustible provient de la hausse ou de la baisse dans le prix du fret. La corde de bois, dite billette, de 16 pieds de long, 2 pieds de haut et 22 pouces de billettes, ne doit pas dépasser 9 f. Au-dessus de ce prix, je brûle la houille, parce que le rapport de l’un à l’autre n’est plus en harmonie.
D. Où prenez vous votre charbon ?
R. A Anzin et à Mons.
D. Combien vous coute-t-il à Anzin, et quels sont les frais de transport ?
R. 1,47 1/2 l’hectolitre pris à Auzin et de 1,27 à 1,77 de transport. Le transport d’Anzin à Chauny se fait par le canal du Crozat, ou de Saint Quentin, et par terre de Chauny à Folembray.
D. A quelle distance êtes-vous d’Anzin ?
R. A 30 lieues. Les droits de navigation sur le canal sont trop élevés..
D. Combien vous coûte le charbon pris à Mous, et quels sont les frais de transport ?
R. 90 c. la manne prise à Jemmapes ou à Boussu ; cette mesure, ainsi que je l’ai déjà dit, est de 8 à 10 pour cent plus forte que l’hectolitre. Je paie de 37 à 39 c. pour droits d’entrée en France et de sondage à Coudé. Le transport se fait également jusqu’à Chauny par le canal, et par terre de Chauny à Folembray ; il s’élève de 1-62 à 2-12 par manne.
D. A combien s’élève votre dépense en combustible ?
R. De 160 à 180 000 fr. par an.
D. Le genre de produits que vous fabriquez aurait-il à redouter la concurrence étrangère ?
R. Oui, celle de la Belgique, qui a des verreries établies sur nos frontières et qui sont voisines des mines de charbon.
D. Comment souteniez-vous fa concurrence avec la Belgique, avant qu’elle fût séparée de la France ?
R. Lorsque la Belgique était réunie à la France, il y avait moins de verreries qu’actuelle nient ; les ventes étaient plus étendues et le commerce des vins mousseux moins considérable. La concurrence n’avait aucun résultat fâcheux ; et les fabricants plaçaient facilement leurs produits. Mais depuis la séparation de la Belgique, de nouvelles verreries y ont été construites ; ces établissements, en grand nombre, se trouvent placés sur les houillères de Charleroy et environs. En France. et dans la confiance de cette séparation, il a été construit aussi plusieurs verreries, dont la majeure partie est en souffrance et même en chômage, lorsque le vin manque ou ne peut être mis en mousseux. Il est certain qu’une concurrence étrangère, balancée même par des droits proportionnés et réciproques, amènerait la ruine de plusieurs de nos verreries, et diminuerait l’importance des autres. De là résulterait l’obligation de renvoyer partie des ouvriers, et de réduire !a consommation des bois, charbons et autres matières premières.
D. Quel est le poids d’un cent de bouteilles ?
R. Cent kilogrammes y compris le foin ou la paille d’emballage. La bouteille champenoise pèse de 28 à 30 onces.
D. Quel est le prix du transport de votre fabrique à Paris !
R. Par terre, de 2 fr. 75 c. à 3 fr. 25 c. le cent de bouteilles. Le transport par eau ne me présente aucun avantage, parce que la navigation de Chauny à Paris éprouve souvent des entraves cl des retards, par les barrages, travaux et chômages auxquels on assujettit la rivière d’Oise. Dans l’espace de quelques années j’y ai eu cinq bateaux de coulés bas.
D. Quel serait le prix du transport de cent bouteilles de la Belgique à votre établissement ?
R. Il serait à peu près le même que celui de la manne de charbon.
D. Croyez vous que ces frais de transport, dont les produits belges seraient grevés, tonneraient une protection suffisante pour votre établissement ?
R. Je ne le crois pas. Remarquez d’ailleurs qu’il ne faut pas calculer les frais de transport des produits belges jusqu’à mon établissement seulement, qui est à deux lieues du port de Chauny, mais bien jusqu à Paris où ils arriveraient directement. Ainsi, en suivant le même mode d’expédition, j’aurais à transporter mes bouteilles par terre, de Folembray au port de Chauny, où elles seraient mises en bâte : Et, ce qui occasionnerait une casse extraordinaire et des frais généraux qui pèseraient plus fortement sur nous que sur les établissements belges.
D. Croyez-vous que ce désavantage puisse être compensé par un droit d’entrée ?
R. Naturellement, quand on a longtemps vécu à l’ombre d’une prohibition, la première impression est d’y tenir. Peut-être reconnaîtra t-on la possibilité de laisser entrer moyennant un droit : alors, ce ne serait plus qu’une affaire de chiffres ; mais, ainsi que je l’ai expliqué dans ma treizième réponse, il en résulterait la ruine et la réduction de plusieurs établissements français.
D. Possédez-vous des connaissances assez étendues sur la fabrication étrangère pour déterminer ce droit ?
R. Non ; mais, s’il était nécessaires, je pourrais me procurer ces renseignements et les transmettre au conseil dans quelques mois. Je lui ferai remarquer dès à présent que si, à la faveur du changement de tarif, la Belgique parvenait, connus cela est à craindre, à concourir aux approvisionnements de la Champagne, les verreries de 1a Lorraine tomberaient, car elles ne se soutiennent que par la vente de leurs produits en Champagne. Or, comme ces verreries ne consomment que des bois de l’État, l’État ressentirait aussi le contre-coup de leur chute.
D. Poilly.
La gazette nationale, le 9 décembre 1834